Modélisation du transport sédimentaire avec HEC RAS 1D

Cas d'étude : modélisation du transport solide avec HECRAS 1D

On s’intéresse aujourd’hui au volet sédimentaire du logiciel HEC-RAS à travers un exemple situé dans le nord de la France.

La modélisation sédimentaire et son utilisation en tant qu’outil d’interprétation du fonctionnement géomorphologique d’un cours d’eau est un sujet très peu abordé dans la bibliographie scientifique Française et se limite à quelques publications en recherche fondamentale.

Les raisons de cette « lacune » bibliographique sont difficiles à appréhender, néanmoins voici quelques pistes de réflexion :

  • Nous sommes ici à l’interface de deux disciplines bien différentes en terme de formation. Là où l’hydraulicien va généralement privilégier l’utilisation d’outils de modélisation essayant de reproduire au mieux la réalité du terrain, le géomorphologue va partir justement de cette réalité de terrain pour établir son diagnostic avec une approche naturaliste héritée des pionniers de la discipline. Les « ponts » entre hydraulique et géomorphologie sont donc de ce fait relativement rares alors que les deux approches sont très complémentaires et en réalité indispensables à la bonne compréhension d’un hydrosystème dans toute sa complexité.
  • Tous les manuels d’utilisation, y compris celui du module sédiment sont des pavés où l’information principale qui intéresse le néophyte (quelle est la méthodologie à appliquer, le mode d’emploi ? Quels sont les informations absolument nécessaires à rentrer dans le modèle ? …) est noyée dans un flux continu de données où tout semble important à connaitre. Il faut donc passer quelques dizaines heures (voir davantage) sur ces manuels pour saisir, justement, le mode d’emploi effectif et hiérarchiser les informations les unes par rapport aux autres (Beaucoup d’options de HEC RAS sédiment sont destinées aux « experts » mais celles-ci ne sont pas forcément nécessaires en première approche sur des contextes d’utilisation simple).
  • Dernier point et peut être pas le moindre des freins à une utilisation plus démocratisée du module sédimentaire de HEC-RAS : l’Anglais. Nous sommes tous (ingénieurs ou technicien supérieur), quel que soit notre formation censés pouvoir écrire, lire et publier en Anglais. Toutefois, la réalité du marché du travail en recherche appliquée (bureau d’études) fait qu’on perd vite l’habitude d’utiliser l’anglais si le quotidien n’impose pas l’utilisation de cette langue.geomorpheau

Quel que soit la ou les raisons qui expliquent cette faible utilisation du module sédimentaire de HEC RAS en France, il nous semblait donc important de mieux expliquer la démarche et d’en délimiter le potentiel d’application.

Cette publication est rédigée conjointement par Benjamin DEBAIL (Géomorph’Eaux, ingénieur géographe spécialisé en géomorphologie) et Arnaud Koch (SURFACE Libre, ingénieur spécialisé en hydraulique et en géomatique)

PARTIR D’UNE REALITE DE TERRAIN CONNUE

Cela semble peut-être une évidence mais l’utilisation du module sédiment nécessite de nombreuses données de terrain et d’entrées suffisamment précises pour pouvoir caler le modèle et la simulation sédimentaire.

La phase de terrain doit permettre en effet de récolter les données suivantes :

  • Localisation des érosions de berge et d’une manière générale des indices témoignant de la dynamique latérale du cours d’eau,
  • Indices témoignant de la dynamique verticale du cours d’eau (incision ou exhaussement du plancher alluvial),
  • Granulométrie des sédiments transportés,
  • Granulométrie des sédiments composant les berges,
  • Coupes stratigraphiques des berges,
  • Relevés des protections de berge et de leur état,
  • Relevés de la ripisylve, …
  • Relevés topographiques en lien avec les granulométries.
  • Photos régulières des formes fluviales (berges, atterrissement, ….)

Il est impératif avant d’entrer ces données dans le modèle que le ou les ingénieurs aient une idée du fonctionnement hydro-sédimentaire global du tronçon. Le tronçon est-il dans une phase de déficit sédimentaire, d’équilibre ou de de surcharge sédimentaire ? Pour cela, l’utilisateur s’appuie sur ses propres données de terrain et sur des données plus anciennes permettant d’établir une comparaison entre deux dates.

Le fait de disposer par exemple de données topographiques anciennes, au moins sur un secteur particulier, est essentiel pour la phase de calage du modèle. C’est sur ce secteur précis où la tendance sédimentaire est connue qu’on va pouvoir ajuster le modèle et ainsi extrapoler ce fonctionnement à l’ensemble de la zone d’étude.

Le terrain d’étude se situe dans la partie nord de la France. Les pentes moyennes sont très faibles, très souvent inférieures à 0,1%. Dans le cas qui nous intéresse par exemple, nous connaissons très exactement la vitesse de sédimentation et cela va être déterminant pour choisir les bons paramètres du module sédimentaire (formules de charriage notamment). Le secteur d’étude où le calage sédimentaire a été réalisé se situe sur la partie amont du bassin versant dans un contexte très agricole. Le dernier curage (jusqu’au niveau d'un cuvelage béton) a été opéré localement en 2016, ce qui nous permet d'identifier un état initial bien précis.

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Entre 2021 et 2022, des campagnes de terrain ont permis de connaitre les hauteurs d’envasement sur tout le linéaire. L’état de l’envasement au moment du diagnostic de l’étude est précisé sur la figure ci-dessous. Nous connaissons donc avec précision la vitesse de sédimentation réelle.

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Un prélèvement de sédiment a été effectué sur ce secteur test. L’échantillon a été envoyé en laboratoire et analysé avec un granulomètre laser de type Coulter.

Le spectre granulométrique représenté va des limons aux sables grossiers avec une prédominance des sables très fins.

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 Pour terminer sur les données d’entrées, il est important de préciser :

  • Qu’aucune érosion de berge n’est à signaler. Les cours d’eau sont peu énergiques et incapables d’ajuster leur morphologie.
  • Aucune station hydrologique permanente ne permet de connaitre avec précision le régime du cours d’eau. Un réseau de suivi a été réalisé sur la période mai-octobre 2021 afin de mieux appréhender le temps de réaction du bassin en période de pluie. Les débits de crue ne sont pas connus à ce stade (étude hydrologique) mais les débits de plein bord sont de l’ordre de 2 m3/s sur cette partie amont du bassin.
  • Une campagne de relevés topographiques a été réalisé durant l’hiver 2021-2022. Les données topographiques sont donc précises et très récentes.

Configuration d'HEC RAS pour la modélisation du transport solide

unsteady flow ou quasi-unsteady flow?

HEC-RAS peut modéliser le fonctionnement sédimentaire en unsteady et quasi-unsteady flow. Il est important de savoir ce que cela implique du point de vue du calcul numérique :

  • le mode transitoire (unsteady) résout les équations de Barré de St Venant 1D, sur la base des conditions aux limites définies en entrée du modèle, sur une fenêtre temporelle précise. C'est le mode de calcul standard pour la modélisation des phénomènes variant dans le temps.
  • le mode quasi-unsteady, utilisable seulement dans les simulations de transport solide, représente en réalité une sucession d'états "permanents" issus du mode de calcul steady flow simplifié proposé par HEC RAS, calculés selon un ou plusieurs palliers de débit, sur des durées définies. L'intéret de ce second mode de calcul, dans le contexte de la modélisation du transport solide, est de pouvoir modéliser des chroniques relativement longues tout en gardant des temps de calcul réduits. C'est l'option qui a été utilisée dans la réalisation de ce cas d'étude.
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Configuration des donnees data sediment dans HEC RAS

Dans un premier temps, il est nécessaire de renseigner a minima une granulométrie, saisie ici à partir des  données fournies par le laboratoire. Nous créons un échantillon témoin qu’utilisera le modèle au droit du profil concerné par le prélèvement. Il est possible ensuite d’appliquer cet échantillon sur d’autres profils lorsque la granulométrie est homogène ce qui est le cas ici.

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On voit ici toute l’importance de disposer de données précises sur la représentation en volume de chaque classe granulométrique.

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  • La fonction de transport solide utilisée en premiere approche est la formule de Meyer Peter Muller.
  • La méthode de tri sédimentaire choisie est celle de Copeland.
  • Pour la méthode déterminant la vitesse de sédimentation, celle de Van Rijn est préférée car supposée adaptée aux petits cours d’eau de tête de bassin ;
  • Pour les conditions de charriage (onglet boundary conditions), l’option EQUILIBRIUM LOAD est choisie.
  • Le module BSTEM (option permettant de modéliser les processus d’érosion de berge et de recharge alluviale) n’est pas renseigné car ces processus sont inactifs sur le secteur d’étude.
Le calage du modèle transport solide sur HEC RAS et les résultats obtenus

Nous faisons tourner le modèle sur une période de 6 ans (2016-2022), laps de temps entre le curage du lit et les derniers relevés topographiques connus.

Ne connaissant pas avec précision l’hydrologie du cours d’eau, un débit moyen est appliqué sur l’ensemble de la période en premier approche pour voir comment réagit le modèle. Au niveau du profil où a eu lieu le prélèvement granulométrique, une différence de 3 centimètres est observée entre le niveau modélisé et le niveau du lit connu en 2022. L’écart entre le niveau modélisé et le niveau réel est variable d’un profil à l’autre mais on retrouve globalement le bon ordre de grandeur. Le calage de la modélisation sédimentaire est donc a priori bon pour les paramétrages choisis. L’exercice peut donc être appliqué à plus large échelle.

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Sensibilité des résultats

Afin de bien comprendre l’importance du choix de la bonne formule de transport solide et de conditions de charriage dans le calage d’un modèle sédimentaire, voici quelques exemples illustrés à partir de différentes simulations de transport solide sur le même site.

Ci-dessous, on peut comparer les résultats obtenus par l’utilisation de deux conditions aux limites de charriage différentes et de deux formules de transport. L’application d’une courbe de tarage sédimentaire établie à partir de la formule de Recking donne en effet une surrévaluation importante du transport solide et donc de la vitesse de sédimentation. Cela est également le cas mais dans une moindre mesure si on utilise la formule de Engelund Hansen au lieu de celle de MPM.

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ATOUTS, LIMITES ET PERSPECTIVES D’UNE PLUS GRANDE UTILISATION DU MODULE SEDIMENTAIRE DE HEC RAS DANS LES ETUDES HYDRO-SEDIMENTAIRES

Comme nous venons d’en faire la démonstration, le potentiel du module sédimentaire de HEC-RAS, sous réserve d'être correctement configuré, est assez bluffant sur ce type d’exercice. Le niveau modélisé est en effet très proche du niveau observé sur de nombreux profils en travers et cela offre de bonnes perspectives quant à l’utilisation ultérieure de ce volet de la modélisation dans le cadre de l’étude. On pourra ainsi déterminer par exemple avec précision le temps nécessaire à un atterrissement quasi-intégral du lit si aucun curage n’est pratiqué. On pourra aussi proposer différentes cotes d’alerte (niveau d’envasement du lit) à respecter en fonction des objectifs de gestion hydraulique sectorisés qui auront été validés par le maitre d’ouvrage.

Ce cas pratique a l’avantage d’être très simple car il s’agit d’un lit très artificialisé où les processus de dépôts/érosion sont facilement modélisables (on se rapproche des conditions hydro-sédimentaires d’un canal). Cependant, c’est un très bon cas d’école qui permet de prendre en main le module sédimentaire, de voir le degré de sensibilité du modèle à l’utilisation de tel ou tel paramétrage. Et vu les multiples options et paramétrages que propose HEC-RAS pour le transport solide, il est préférable que le néophyte en la matière passe également par ce cheminement scientifique et cette approche. Commencer la prise en main du DATA SEDIMENT d’HEC-RAS par un cas complexe (plusieurs bras, sédiments grossiers avec pavage, modèle 2D) pourra rapidement en détourner les utilisateurs non-initiés.

On a vu également toute l’importance qu’il y a de disposer de solides (et récentes) données de terrain pour que le modèle puisse refléter une situation observée. On ne peut pas simplement se contenter de rentrer des données sédimentaires et d’extraire les figures avec les niveaux modélisés. L’absence de recul sur les données fournies par HEC-RAS (mais cela est également valable pour une modélisation strictement hydraulique) peut ainsi amener à un mauvais diagnostic et donc derrière à des propositions d’actions inadaptées.

Le module sédimentaire de HEC-RAS est donc un outil puissant et potentiellement très intéressants pour certaines études géomorphologiques mais il doit être manié avec précautions et par des mains expertes. Le travail conjoint d’un hydraulicien et d’un géomorphologue sera une garantie supplémentaire car nous sommes là dans un domaine d’expertise pluridisciplinaire qui nécessite des compétences à la fois très différentes et complémentaires.


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HECRAS, Modélisation, Transport solide